Bonjour,
Plusieurs de mes amies ont vécu récemment l’expérience du Désert.
Cette formidable expérience qui me renvoie des années en arrière.
J’avais 33 ans.
Je suivais ma deuxième année de formation pour devenir Gestalt-thérapeute.
Notre principal formateur, Jean-Marie Delacroix, l’un des pionniers ayant développé la Gestalt-thérapie en France, était un passionné du Désert et nous en parlait souvent.
Après plusieurs échanges autour du sujet, nous lui suggérons de nous faire découvrir le Désert. Il accepte dans le cadre de notre formation, accompagné de son épouse Agnès Pin-Delacroix également Gestalt-thérapeute et formatrice de notre cohorte.
Jean-Marie constitue deux groupes pour l’occasion : notre promo constituée d’une dizaine d’élèves en Gestalt-thérapie, et un groupe de Gestalt-thérapeutes en activité.
Nous partons donc à 25 dans le Désert Tunisien, en novembre.
Un processus s’est enclenché dès cette décision de voyage.
Je me souviens de la nécessité de signer une décharge en cas de problème pour déresponsabiliser les organisateurs.
Une belle opportunité pour apprendre à se sentir responsable de soi.
Puis il convient de préparer ses affaires.
Un léger sac à dos pour la journée et le reste très léger aussi transporté par les chameaux pendant la journée. Apprendre à voyager léger. Pas gagné pour moi ! Mais tout est possible.
Ce 1er voyage à pied dans le désert a généré beaucoup d’angoisses dans notre groupe.
Je me souviens de toutes les peurs qui nous gagnaient et que nous partagions : se perdre, se faire piquer par un scorpion, un serpent, avoir un problème de santé, manquer de nourriture, d’eau, se faire kidnapper…
Et pourtant nous souhaitions tous vivre l’expérience.
Arrivés de nuit en plein désert, déposés par les 4X4, je me souviens de ma surprise à nous retrouver tous à chercher un matelas pour dormir, à la belle étoile, à sentir le sable sous nos pieds, à entendre le bruit des moteurs s’éloigner, remplacé par celui des chameaux tout près de nous.
Je me souviens des étoiles filantes par centaines chaque nuit,
Je me souviens de la beauté du jour qui se lève sur les dunes,
Du pain cuit dans le sable,
Des soirées joyeuses autour du feu le soir,
Des scorpions le matin qui dormaient au chaud sous nos matelas,
Des marches silencieuses,
Des partages d’enseignements,
Des partages d’émotions,
De cette grande peur d’avoir pensé perdre deux de nos collègues égarés dans les dunes un trop long moment lors d’une pause….
Je repense à la terreur des chameliers : pour eux perdre un participant, c’est la peine de mort !
Je me souviens aussi de cette coupure de contact avec la civilisation pendant 8 jours entiers,
De la magie des surprises du Désert : on le croit vide, il s’y passe tant de choses,
Du talent des chameliers qui savent à la fois cuisiner avec des vivres pour huit jours,
faire du pain dans le sable,
s’occuper des chameaux,
chanter et faire de la musique le soir,
nous fabriquer des bâtons de marche,
nous guider,
trouver les points d’eau,
soigner une blessure, une piqûre,
nous protéger d’une tempête de sable,
…
Des temps de thérapie, de partages, ponctuaient nos journées.
Je me souviens notamment d’un concert de silence !
Un moment d’éternité gravé dans mon âme !
Tous assis en silence devant un spectacle à vous retourner le cœur, le corps et l’esprit !
Un ciel magnifiquement coloré avec des dunes à l’horizon, le soleil qui descend peu à peu et chacun de nous pris d’une émotion intense et si singulière. Cet état d’être, cette conscience de soi, des autres, de l’immensité. Ce moment où l’on se sent tellement intégré(e) à l’Univers, faire partie de l’Univers et à la fois se sentir si peu de choses, comme chacun de ces milliards de grains de sable qui tous réunis constituent ce spectacle d’une immense beauté !
J’ai aussi le souvenir de ces deux derniers jours, victime d’une tendinite. Pour la petite histoire, nos guides avaient inversé notre groupe et celui d’un groupe de trekkers. Résultat : nous devions marcher 4 à 5 h par jour et avons marché 7h par jour ! Dans le sable…. Sans entraînement… Vous imaginez peut-être ? Les trekkers étaient fort déçus ! Et nous bien surpris par le rythme !
C’est donc à dos de chameau que j’ai terminé le périple, me trouvant isolée du groupe, avec deux autres collègues. Les chameaux contournaient souvent les dunes empruntées par notre équipe.
J’ai vécu une expérience de lâcher-prise inoubliable. C’est le jeune Nabil, 16 ans, jeune chamelier faisant sa première traversée avec les adultes qui guidait mon chameau.
Moi confortablement installée ; lui chantant, sifflotant, heureux de vivre et parlant très peu le français.
Au bout d’une heure, je vois les chameaux devant nous, avec deux autres de mes collègues, s’éloigner de nous, de plus en plus.
Nabil traînait, d’un pas tranquille, au point qu’au bout d’un certain temps, nous ne distinguions plus personne à 360° !
Moi, inquiète, lui demandai :
- « Nabil les autres sont loin ? on va les rattraper ? »
- « Mais oui Madame, on va les retrouver tout à l’heure », répondit-il en souriant avec son joli accent.
- « Et tu sais dans combien de temps on arrive, Nabil ? »
- « Bientôt Madame, bientôt. »
- « C’est normal qu’on les voie plus, Nabil ? »
- « Mais oui, Madame, c’est normal, on avance, on avance, repose-toi, Madame ! Chante avec moi, Madame, t‘inquiète ! »,
et il m’encourageait à chanter les chants appris lors de nos veillées autour du feu.
Dans le Désert Y’a Baba, Dans le Désert Y’a Baba,
Et dans le vent y’a Baba, et Dans le vent Y’a Baba,
Sur le chameau y’a Baba, Sur le chameau Y’a Baba …
Je me souviens de ce moment de panique intérieure, et de mon cerveau qui s’emballe dans de nombreuses hypothèses que je ne vous livrerai pas.
Et soudain, observant la quiétude et le sourire de Nabil, quelque chose en moi décida de profiter de l’instant.
Un paysage à couper le souffle, seule sur mon chameau, au pas (ça va vite un chameau), protégée du soleil telle le lieutenant Lawrence d’Arabie ! Quelle expérience inhabituelle !
J’ai donc lâché, décidée à vivre cet instant qui certainement resterait unique dans ma vie.
Je le confirme aujourd’hui.
Deux heures plus tard, nous avons rejoint les autres chameliers tout près d’un puit.
Tellement heureuse de cette expérience, j’ai exprimé ma gratitude à Nabil en lui offrant un tee-shirt. Il n’a pas eu conscience de ce qu’il m’a enseigné. J’ai toujours gardé de lui un bâton de marche qu’il a sculpté pour moi et gravé de son prénom.
Je me souviens aussi de notre rituel de sortie du Désert.
Comme un passage pour retourner vers la civilisation.
Un moment où nous laissions quelque chose de nous et nous partions avec de nouvelles découvertes. Fondamentales découvertes.
Après un passage dans une oasis où la baignade fût un véritable cadeau, les 4×4 nous ont conduits à l’hôtel (soupape de sécurité avant le retour à la civilisation).
J’ai le souvenir de cette émotion immense, dévorante, incontrôlable lorsque je suis arrivée dans l’aéroport de Lyon. Ce jour-là, j’ai bien cru ne plus être capable d’interrompre mes pleurs. Une émotion d’une rare intensité. Des heures à pleurer très fort.
Je crois que j’ai laissé ma mue dans cette première expérience du Désert.
Je pourrais raconter d’autres anecdotes tant le voyage a été riche et plein (pas si Désert), mais me il faudrait en faire un livre.
Pourquoi pas, mais ce n’est pas dans mes priorités du moment.
Ma deuxième expérience du Désert a été moins forte mais encore très belle. Je l’ai vécue l’année d’après en tant que co-animatrice d’un groupe de thérapie. J’ai suivi un ami thérapeute qui avait eu la drôle d’idée de passer le 31 décembre dans ce même Désert.
Plus jamais ça ! Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie !
La simple tente berbère n’a pas suffi à nous réchauffer. Nous étions collés les uns aux autres avec nos couvertures de survie ! Une tout autre expérience, que je vous raconterai une autre fois. Le voyage fut, malgré cela, riche d’enseignements, d’émotions et de beauté.
Désert, source d’inspiration, grande reconnexion à soi.
Il m’a fallu un certain temps pour revenir vraiment de mon premier Désert.
J’ai intégré des expériences, des réflexions, des sensations, des évidences, pas toujours en conscience.
Merci à mes ami(e)s de me remettre en mémoire ces souvenirs, me donnant ainsi l’occasion, après tant d’années, de découvertes et de travail sur moi de donner encore plus de sens et de compréhension à mon parcours, à ces opportunités que j’ai eu le courage de saisir.
Je souhaite à chacun de vous une traversée du Désert, au sens propre et figuré.
Je réalise davantage combien cette parenthèse aussi singulière que surprenante a donné une autre couleur à ma vie et à mes rencontres.
Une pensée pour celles et ceux qui ont connu avec moi cette belle aventure.
J’arrête là mon texte avec quelques citations inspirantes.
Bien chaleureusement
Magali
Quelques citations et un extrait pour vous laisser méditer :
« Un désert, c’est bien fait pour se rencontrer. »
Jean Cayrol
« Il n’y a pas de plus grande émotion que d’entrer dans le désert. »
Le Clézio
« Le plus difficile dans le désert, c’est de trouver la sortie »
Philippe Alexandre
Extrait de Désert, Déserts de Jean-Yves Leloup
« Il y a les déserts de pierre et de sables, du Hoggar, de l’Assekrem, du Ténéré, du Sinaï et d’ailleurs – le désert est toujours l’ailleurs, un ailleurs qui nous conduit au plus proche de nous-mêmes.
Il y a les déserts à la mode où l’on se retrouve en peuple bavard dans des espaces choisis où nous seront épargnées les brûlures du vent et les soifs radicales ; on en revient bronzé comme d’un séjour à la plage mais avec en plus des prétentions à la « grande expérience » qui ferait de nous pour toujours de « grands nomades »…
Enfin il y a les déserts intérieurs ; c’est de ceux-là qu’il nous faut parler, sachant reconnaître ce qu’ils ont de douloureux et de torride, mais en essayant aussi d’y découvrir la Source cachée, l’oasis, la Présence inattendue qui nous accueille sous un palmier de sourires, autour d’un feu où la dans des « passants » se joint à celle des étoiles. Car le désert n’est pas un but, il est un lieu de passage, il est une traversée, chacun a sa terre promise, son attente à décevoir, son espérance à éclairer.
Il y a aussi les déserts de l’intelligence, où le plus savant se heurte à l’incompréhensible, le plus conscient à l’impensable. Connaître le monde et ses matières, se connaître soi-même et ses mémoires ne va pas sans déserts à traverser. »